Citoyenneté Jeunesse

CARNET DE CONFINEMENT

mars - avril 2020

 

 

Fabriquer du lien, créer du sens, se projeter ensemble.

Que se passe-t-il quand ces mots fédérateurs placés au cœur des actions de l'association Citoyenneté Jeunesse s’opposent à ceux entendus et répétés partout : confinement, distanciation sociale, isolement, quarantaine, repli, restriction ? Comment faire quand le terrain, la rencontre avec les partenaires, le partage avec les jeunes sont interdits ? Faut-il arrêter tous les projets ? Ou, au contraire, imaginer des alternatives afin que les jeunes continuent à s’exprimer en encourageant la réflexion et la création ?

 

Citoyenneté Jeunesse a souhaité, à travers un travail d’enquête, rendre compte et partager les initiatives et expérimentations initiées pendant le confinement. Privée de terrain, l’association qui intervient habituellement en milieu scolaire pour mettre l’art au cœur d’une réflexion sur le monde, n’a cessé de s’interroger, d’essayer, de réajuster et d’innover pour continuer à faire vivre ses projets artistiques. L’objectif étant de continuer à aménager des espaces de création, d’expression, d’échange pour les jeunes au cœur de cette période d’isolement.

Avec un tiers de sa population âgée de moins de 25 ans, la Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France. Il a été particulièrement touché par l’épidémie de Covid-19. Et cette crise sanitaire que nous venons de traverser a accru les inégalités, exacerbé les stigmatisations et les clichés à l’encontre des Séquano-dionysiens. Pourtant, des jeunes ont continué à être porteurs d’énergie et de richesses artistique et culturelle tout au long de cette période. Confinés, des collégiens se sont emparés de différents moyens d’expressions pour s’émanciper, rêver, s’échapper. Ainsi, poésies, dessins, vidéos, enregistrements, photos et mises en scène ont émergé dans l’obscurité. Citoyenneté Jeunesse en a été le premier témoin.

Continuer à mener ces projets, c’était avant tout envoyer un signal, une sorte de lumière dans le brouillard omniprésent. C‘était une façon de rappeler aux ados qu’ils ne sont pas seuls et que des échappatoires existent. Certes, toutes les initiatives n’ont pas été concluantes et des jeunes n’ont pas répondu aux appels de l’association et des enseignant.es. La précarité de leur quotidien, la fracture numérique dont ils sont les premières victimes, et les difficultés familiales auxquelles ils font face les ont éloignés de l’enseignement à distance. Mais, grâce à l’acharnement permanent de l’équipe de Citoyenneté Jeunesse, des artistes et des professeur.es, de nombreux élèves se sont raccrochés à l’école et aux projets mis en place pour les accompagner. Cet investissement sans faille de la part de ce collectif a permis de faire émerger de beaux projets. Immersion.

 

 

 

Citoyenneté jeunesse mène une centaine de projets artistiques et culturels par an.

En début de confinement, 22% des projets étaient terminés.

60% des projets ont été travaillés durant le confinement.

Le présent récit porte sur 15 projets répartis sur tout le territoire de la Seine-Saint-Denis.

Le 13 mars, une partie des chargé.es de projets se trouve sur le terrain, dans des établissements scolaires lorsqu’ils.elles sont appelé.es à rejoindre le bureau. L’équipe de Citoyenneté Jeunesse se réunit une dernière fois sans savoir qu’elle ne se retrouvera que 13 semaines plus tard. "J'ai un moment de panique, un sentiment d'apocalypse. Je comprends, quand nous nous réunissons dans la salle de réunion, que nous n'allons pas nous revoir pendant un moment", confie Marion, chargée de projets. À ce moment-là, des élèves s’apprêtaient à installer leur première exposition photographique dans un centre culturel, d’autres, à enregistrer leurs premières interviews radio. Ce n’est finalement pas possible.

 

Dans le flou et l’inquiétude, l’association s'organise. Ordinateur sous le bras, chacun.e se prépare à se séparer du terrain pour un temps indéterminé. Quatre jours plus tard, le 16 mars, le  président de la République annonce officiellement le début du confinement. La France s’enlise dans une crise sanitaire sans précédent. Comment continuer à faire vivre du commun lorsqu’on se retrouve éloigné.es les un.es des autres et qu’on est privé.es de lieux de rencontres ? Quelle place accorder à l’art dans ces moments de repli ? Un projet artistique et culturel peut-il s’intégrer à l’enseignement à distance ? Si oui, sous quelle forme ?

 

Au sein de Citoyenneté jeunesse la fin du mois de mars est essentiellement consacrée à créer du lien, prendre des nouvelles, envoyer un signal aux équipes pédagogiques. L'association sait ses professeur.es éprouvé.es par la situation inédite et l’enseignement à distance. Un temps de dialogue, d’écoute et d’accompagnement est donc nécessaire. Rapidement, il est décidé de continuer à faire vivre les projets nés avant le confinement. Tout en gardant les élèves au cœur de leurs préoccupations, artistes, professeurs et chargé.es de projets commencent à innover, inventer, transformer, improviser, expérimenter pour ouvrir aux ados une fenêtre sur l’extérieur.

 

Dès le 20 avril, après les vacances de printemps, les premiers retours d’élèves apparaissent sur les espaces numériques de travail ou les conversations WhatsApp créées pour l’occasion. Un dessin, un morceau de texte, un enregistrement vidéo. Les jeunes ne participent pas tous de la même façon ni avec la même assiduité. Ils picorent parfois, s’approprient les projets à leur manière… En tout cas, ils reçoivent le signal envoyé : des espaces de créativité où les échappées, les rencontres sont permises et où l'imaginaire peut se déployer. Des espaces qui ne respectent pas les lois du confinement...

 

Jusqu’au 11 mai, date officielle du déconfinement, les travaux des élèves arrivent de façon plus ou moins régulière. Les échanges à distance sont souvent ponctués de longs silences. Mais, chargé.es de projets, professeur.es et artistes poursuivent les tentatives et multiplient les relances. Certain.es adolescent.es commencent à montrer leur impatience à retrouver le chemin du collège. Les dates de retour en classe sont pourtant encore très incertaines. Est-il envisageable dans quelques jours, quelques semaines, de conclure tous ensemble le travail réalisé à distance ? Les équipes l’espèrent. Elles s’y préparent.

 

Le 2 juin, l'Île-de-France, en zone rouge jusqu'à présent, rouvre progressivement ses établissements scolaires. Peu d’élèves reviennent en classe. Pour les motiver, aller les chercher, leur donner envie, des professeur.es mettent en avant la poursuite des projets artistiques menés avec Citoyenneté Jeunesse. Des jeunes reviennent pour faire avancer le projet, participer à la restitution des objets créés durant le confinement. Dans une ULIS de Neuilly-sur- Marne, cela fonctionne particulièrement bien. Le 9 juin, après l’appel de leur enseignante, 7 élèves sur 12 reviennent spécialement pour finir un projet d’autoportrait réalisé à la peinture. Certains témoignent leur joie de se retrouver et de partager ce moment. « Je suis heureux de peindre, cela m’avait manqué, j’y pensais parfois pendant le confinement », confie l’un d’eux.

                                                                                                  

Vendredi 13 mars au matin, une classe de 4ème du collège Les Mousseaux de Villepinte s’apprête à installer son exposition photographique. Les élèves travaillent dessus depuis plusieurs mois. Ensemble, ils ont exploré la Collection départementale d’art contemporain de la Seine-Saint-Denis et ont sélectionné les oeuvres qu’ils souhaitaient mettre en avant dans leur future exposition. Démocratiquement, ils ont choisi une thématique, un titre - Le monde en couleurs - et une scénographie. Malheureusement, l’exposition n’a jamais eu lieu car le centre culturel devant l’accueillir a fermé ses portes dès le 13 mars, un salarié étant atteint du Covid-19. Mais les acteurs du projet jusqu'à la dernière minute avant la fermeture du collège vont recueillir les verbatim des élèves pour présenter le catalogue de l'exposition telle qu'elle aurait dû être...

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Jeudi 12 mars à 20 heures, Emmanuel Macron parle. Il annonce la fermeture des écoles dans les prochains jours. De mon côté, j'échange des messages avec Caroline Bénichou, commissaire d'exposition, et les professeurs avec lesquels je travaille pour savoir ce qu'on envisage. Les élèves doivent se retrouver le lendemain matin pour installer les œuvres de leur exposition. Mais, très vite, on apprend que le centre culturel qui accueille l'expo ferme. Tout tombe à l'eau. On décide malgré tout de maintenir la séance le lendemain matin. On s'organise en 20 minutes, dans l'urgence : qu'est-ce qu'on fait ? Comment on fait ? On crée des groupes. Chacun travaille sur la création d'un magazine d'exposition. Je pars avec des morceaux de texte, des morceaux de phrases, des brouillons. Sans vraiment savoir ce que je vais pouvoir en faire.

Florence Chouaieb, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse.

 

 

 

Je voulais qu’il y ait plein de gens à notre exposition. J’avais hâte de la montrer ! On avait passé du temps à la préparer quand tout s’est arrêté. Je suis un peu déçue et triste, j’y pense parfois pendant le confinement.

Marily, élève à Villepinte

Les copies présentées ci-dessus sont celles récoltées par Florence, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse, le 13 mars. C'est à partir de ces textes écrits et imaginés par une classe de 4eme du collège Les Mousseaux de Villepinte que le catalogue d'exposition a été réalisé.

Le livret de notre exposition représente notre participation et les meilleurs moments que nous avons passés tous ensemble. Je suis contente d’en avoir un souvenir et surtout, je suis très impressionnée de voir mon nom dans un livre. Je vais le garder précieusement.

Thareniya, élève à Villepinte

Innover.

Inventer.

Projeter.

Je me bats toujours pour qu'il puisse y avoir un objet final. On plante une petite graine dans tous les projets. On espère qu'il y aura toujours une trace de cette graine plus tard chez les élèves. Pour moi, c'est un vrai enjeu, même pendant cette période.

Margaux Duval, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

J'appelle les élèves un par un, une fois par semaine, pour prendre de leurs nouvelles et leur proposer de continuer le projet. C’est pour moi une évidence, presque un devoir. C’est émouvant et troublant de voir l'ennui, ce à quoi ils ont accès.

Pauline Clermidy, réalisatrice

Malgré le brouillard, il faut se remettre vite en ordre de bataille. C'est là qu'on se rend compte à quel point on est tous.tes interdépendant.es. Sans les profs, on n’a pas accès aux élèves, et sans notre volontarisme et celui des intervenant.es, le projet ne vit pas. Pendant cette période notre complémentarité s'est vraiment renforcée.

Clément Tramoy, chargé de projets à Citoyenneté Jeunesse

Dès les premières semaines de confinement, un travail d'assemblage des dessins et des textes déjà réalisés par les élèves du collège International de Noisy-le-Grand a été fait par Mathilde Rives, réalisatrice. Le but ? Faire un film d'animation à partir des créations des ados. Fin mars, une conversation WhatsApp est créée avec les élèves. L’artiste y envoie des consignes d’enregistrements sonores. À l’exception de deux élèves, tous font le travail demandé en enregistrant une phrase à distance. Début avril, Mathilde Rives se lance donc dans le montage du film d’animation. L’équipe espérait pouvoir organiser une projection dans un cinéma à la fin du mois de juin. Finalement, une restitution en ligne, via l’ENT du collège a été organisée le 24 avril.

Cette fiche a été envoyée par Mathilde Rives aux élèves du collège International de Noisy-le-Grand. Elle explique de façon ludique la façon dont il faut procéder pour réaliser un enregistrement sonore de qualité.

Pour faciliter les échanges avec les élèves et l'artiste, une conversation WhatsApp a été créée. Chacun.e était libre d'y poser une question, demander une précision. L'artiste pouvait également réagir instantanément aux réalisations des élèves.

Le 24 avril, je fais une restitution d'un court métrage, à distance, en ligne. Certains élèves disent : "Merci d'avoir réussi malgré tout". Je crois que c'est un des moments les plus forts de ma carrière à Citoyenneté Jeunesse. Je suis très émue. À ce moment-là, je me dis : "Je sais pourquoi je fais ça. Je sais pourquoi il faut rester. Il faut que les ados sachent que les adultes qui les accompagnent dans leur scolarité ne les lâchent pas." Pour moi, l'endroit de la citoyenneté, il se situe à cet endroit-là, pendant le confinement.

Marion Seine, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

L'inventaire des colères des élèves de Noisy-le-Grand sont à découvrir ci-dessus.

Il était initialement prévu de réaliser un magazine sur Bobigny avec l’aide d’une journaliste. Finalement, avec le COVID-19 ce projet tombe à l’eau. L’équipe pédagogique et Margaux, chargée de projets à Citoyenneté jeunesse décident donc de créer un journal de confinement. Margaux imagine déjà la qualité des productions à venir. Elle propose de créer une conversation WhatsApp avec les élèves pour avoir un lien direct avec eux. Cela ne sera pas possible car le collège préfère que les échanges se fassent via l'ENT du collège. Une adresse e-mail est spécialement conçue pour le projet, une première consigne de travail est envoyée. Aucune réponse de la part des 4ème pendant plus de 15 jours. Le projet est-il définitivement impossible à mener ? Fin mai, Margaux travaille avec l'enseignante sur des fiches d’éducation aux médias. Une classe virtuelle est organisée début juin avec Louise Gamichon, journaliste. Seuls 5 élèves sont présents. Margaux témoigne de la difficulté à échanger avec les adolescents face à des écrans noirs et de nombreux bruits parasites. Suite à ces échanges, des élèves envoient quelques productions mais rien n’est exploitable pour réaliser le travail initialement prévu. Ce projet a donc subi de multiples rebondissements et a un goût d’inachevé. Certes, il n’a pas abouti à une production finale mais il est l’illustration de l’acharnement et des nombreuses tentatives qui ont été mises en place tout au long du confinement pour continuer à faire vivre le projet d’une façon ou d’une autre.

Après plusieurs semaines à chercher des solutions pour adapter le projet au confinement, des élèves ont fini par nous envoyer des premières choses. C’est assez pauvre mais il y a un retour ! Parfois c’est juste une phrase ou juste une photo. On est loin, très loin de ce qu'on attendait. Mais on est très heureux de recevoir un signe de vie, de voir apparaître un instant de créativité.

Margaux Duval, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

Ce projet a été particulièrement difficile à mener. D'ailleurs, finalement il n'a pas vraiment abouti. Mais on y a mis beaucoup d'énergie. On a essayé, réajusté, proposé, innové, recommencé.

Margaux Duval, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

Ce dessin de la jeune Shaïnez intitulé « la girafe » est arrivé dans la boite mail de Marion, chargée de projets à Citoyenneté jeunesse, le 21 avril. Jusqu’à ce jour, aucun.e élève n’avait répondu aux encouragements et relances des adultes pour amener cette classe de 6ème de Montreuil à travailler sur le projet. Ce dessin est donc arrivé alors que personne ne s’y attendait. Il a été reçu avec une vive émotion et une très grande joie au sein de l’équipe de Citoyenneté Jeunesse. Plus tard, d’autres dessins ont fait leur apparition. Un livret retraçant tout le parcours réalisé avec les élèves sur la thématique de l’animal totem a été créé… avec des activités pour l’été ! Ce carnet leur a été offert le 2 juillet, lors d’une restitution en classe.

 

Pour consulter le carnet, cliquez ici.

Les créations des élèves ont été durant le confinement autant de lumières au cœur des ténèbres. Des lucioles. On cite beaucoup à l’association Robert Filliou « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». C’est la raison pour laquelle nous avons continué – devions continuer - à faire vivre les projets durant cette période.

Catherine Teiro, directrice de Citoyenneté Jeunesse

Essayer.

Proposer.

Rebondir.

Tout au long du confinement, professeur.es, artistes et chargé.es de projets ont tenté de mettre en place plusieurs moyens de communication pour rester en contact avec les élèves et garder un lien constant avec eux. Lorsque cela a été possible et accepté pour les chefs d'établissement, des conversations WhatsApp et des comptes Instagram ont été créés. Dans certains projets, des réunions avec l'application Zoom ont été organisées. Cela permettait de retrouver les élèves en groupe et de parler avec eux instantanément. Les échanges étaient alors plus fluides. Les ENT des collèges très sollicités par les professeurs et les élèves ont, en effet, été des outils indispensables pour le travail scolaire mais ont parfois été soumis à la saturation du réseau. Cela rendait alors les échanges instantanés plus difficiles via ces plateformes.

Ces captures d'écran ont été prises lors d'une réunion Zoom avec une classe de 5eme du collège Liberté de Drancy. Chargé de projets, journalistes, professeur.e.s et une large partie des élèves avaient répondu présents.

Ce compte Instagram a été créé pendant le confinement. Il était destiné aux élèves de 4eme

du collège Henri Sellier de Bondy et visait à interroger les adolescents sur des images d'actualité.

J'ai créé un compte Instagram pour garder un contact direct et facile avec les élèves. Certains répondent parfois aux consignes de travail tard dans la nuit. Je me demande s'il faut que j'y réponde instantanément ou non. Et puis, je me dis : " Allez ! s'ils sont disponibles 10 minutes pour travailler, il faut que je saisisse l'occasion maintenant ! "

Professeur à Villepinte

Sur cette capture d'écran, on peut voir le travail de 2 élèves. Il se trouve sur l'ENT du collège, principal lieu d'échanges entre les élèves et leurs professeurs. Ici, on peut y lire une liste de questions préparée par les adolescentes en amont de l'interview d'un sportif qu'elles mèneront quelques jours plus tard.

Je déteste rester enfermé. C’est très difficile. Ça me semble très long. Je m'ennuie beaucoup et c’est très bizarre de travailler face à ces écrans noirs.

Ibrahim, élève au Blanc-Mesnil

C’était très important que les élèves puissent avoir un contact avec une personne extérieure à l’école. En discutant chaque semaine avec Pauline, la réalisatrice, ils avaient une autre oreille disponible. Ce lien humain, était essentiel pendant cette période.

Guillaume Espern, professeur au Blanc-Mesnil.

Ce projet des élèves de 5ème de Collège Gisèle Halimi d’Aubervilliers a subi de nombreux rebondissements. Il est peut-être le plus surprenant de tous ceux menés pendant cette période. Initialement, c’est un projet de pratique théâtrale, engageant le corps dans une réflexion autour de la notion de frontière géographique. Lorsque le confinement a été annoncé, professeures, autrice et chargée de projets ont cherché un moyen de continuer à faire vivre ce projet malgré la situation. Comment faire du spectacle vivant, travailler le corps, la voix, lorsque l’enfermement et la distanciation sont la règle à respecter ? Dans un premier temps , rien d’évident ne se dessinait. Roxana Carrara, comédienne et autrice et Laura Ronca chargée de projets ont longuement échangé sur les possibles à proposer. Et, assez vite est née l’idée d’un rebond par un travail d’écriture autour du thème de la frontière en ouvrant la possibilité d’adapter le sujet à la période vécue par chacun, celle du confinement. Ce fut leur choix. L’autrice a donc invité les élèves à interroger cette nouvelle frontière vécue dans l’isolement. Mais les choses mettent du temps à se mettre en place. Les retours des élèves sont lents et très irréguliers. Les dessins et les écrits peinent à arriver. Laura, la chargée de projets, tente à plusieurs reprises de donner un nouveau souffle à cette initiative. Un grand moment de flottement ré-interroge la possibilité de parvenir à conclure ce qui a été imaginé. Et puis, tout à coup, fin mai, alors que Laura travaille sur les projets de l’année suivante, les élèves se mettent à participer en grand nombre. Avec beaucoup d’enthousiasme, ils travaillent en interaction avec leurs enseignantes. Ils proposent, échangent, essayent, écrivent... Le projet reprend de l’allure et retrouve toutes ses ambitions. Alors, l’idée de la rédaction à plusieurs mains d’un texte théâtral franco-espagnol voit le jour. L'autrice récupère, assemble et rebondit pour aboutir à un texte de théâtre collectif. Professeurs et élèves enregistrent leurs voix pour donner vie à ce récit théâtral d’une grande qualité. Les matériaux créés durant le projet, le récit écrit et enregistré sont à découvrir ci-dessous.

En cliquant sur cet enregistrement, vous découvrirez la création d'un récit théâtral réalisé par une classe de 5eme du Collège Gisèle Halimi d'Aubervilliers. L'intégralité de cet objet a été fait à distance, pendant le confinement.

Ce projet nous permet de travailler tous ensemble. Si je dois garder un souvenir, ce serait celui de la classe qui sourit beaucoup.

Elly, élève à Montreuil

Durant le confinement, certains ont remis en question l’engagement des enseignants et leur implication dans la mise en place du travail à distance. Nous, à l’association, nous avons travaillé avec des enseignants très investis qui ont porté les élèves, coûte que coûte.

Carolina Cordova, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

Rebondir.

Improviser.

Expérimenter.

Ce travail a été réalisé par des élèves de 4eme du collège Monod à Gagny. Il a été mis en page pendant le confinement.

C’est très compliqué de mon côté, j'ai une grosse charge de travail. Mon planning est très contraint, je reçois régulièrement des injonctions contradictoires. J’essaie de m'adapter pour proposer un suivi de qualité à mes élèves. Il faut absolument que j'arrive à maintenir le lien. J'en suis venue à utiliser les réseaux sociaux et même à passer par leurs copains pour prendre de leurs nouvelles.

Fouley Koita, professeure au Pré-Saint-Gervais

 

 

 

Il est vrai que recueillir la parole, la détresse de certains professeurs, c'est parfois difficile. On sait qu'ils souffrent aussi. J'ai passé des heures au téléphone à faire du lien. Ce confinement est aussi beaucoup consacré au relationnel.

Laura Ronca, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

 

 

 

La période fait de gros dégâts en termes purement scolaires. On s'adresse à des ados qui ont déjà du mal à s'adapter au système scolaire classique. L'école à distance est très compliquée. On peine encore à quantifier les conséquences aujourd'hui, mais je pense que ça va se ressentir dans les mois, les années à venir, ça va être à retardement.

Clément Tramoy, chargé de projets à Citoyenneté Jeunesse

Écouter.

Maintenir le lien.

Soutenir.

Parmi mes élèves de 3ème, beaucoup n’ont pas les conditions réunies pour travailler, de par leur situation personnelle ou leur vie de famille. Certains n'ont pas de connexion Internet, pas d'ordi. D'autres vivent dans des milieux violents. Je peux rester plusieurs jours ou semaines sans nouvelle. Je sais qu'ils souffrent. Des élèves ont faim, ils vivent des situations dramatiques. C’est extrêmement difficile d'être témoin de la très grande précarité de mes élèves et de rester spectatrice.

 

Fouley Koita, professeure au Pré-Saint-Gervais

Ces photos ont été envoyées par des élèves pour raconter leur confinement. Dans l’enregistrement qui les accompagne, des adolescents confient « leur colère de confinement ». 

Cet enregistrement est un montage de sons enregistrés lors d'une restitution en ligne, pendant le confinement. On y entend des élèves parler de leurs colères, frustrations et impressions sur la période vécue.

Dans ce projet, une ULIS du collège Aimé et Eugenie Cotton du Blanc-Mesnil devait réaliser un court métrage avec la réalisatrice Pauline Clermidy. Les élèves s’interrogaient sur la notion de regard et de point de vue. Lorsque le confinement est annoncé, les heures de tournage n’ont pas commencé. Très vite, Pauline Clermidy propose de poursuivre le travail à distance. Le 3 avril, une fois que tous les élèves ont été joignables, Pauline envoie une vidéo les invitant à filmer ce qu’ils voient depuis leur fenêtre. À partir de cette date, Pauline a appelé les élèves individuellement chaque semaine pour les guider dans leur travail mais aussi les motiver et prendre de leurs nouvelles. Fin avril, la majorité des élèves ont envoyé des photos et des vidéos. Certains en ont proposé plusieurs, d’autres plus discrets, ont été plus difficiles à convaincre. La réalisatrice a commencé à travailler le montage du film au milieu du mois de mai. Une rencontre-projection a été organisée fin juin. L’engagement et l’investissement sans relâche de l’ensemble de l’équipe ont permis de réaliser un très beau film. Il est à découvrir ci-dessous.

Il s'agit de la première vidéo envoyée par Pauline Clermidy à destination de l'ULIS du collège Aimé et Eugénie Cotton du Blanc-Mesnil. C'est à partir de cette vidéo que les élèves ont commencé à envoyer leurs travaux et à échanger régulièrement avec l'artiste.

Je filme les applaudissements à 20 heures avec le téléphone de mon père. J’aime le faire mais ensuite c’est difficile d'écrire ce que je ressens en regardant par ma fenêtre.

Lassana, élève au Blanc-Mesnil

 

 

De ma fenêtre, je vois des voitures, la nuit, la pluie... J'ai choisi de filmer la nuit car c'est ce que je trouve le plus beau.

Bakary, élève au Blanc-Mesnil

 

 

 

Je suis très heureux quand Pauline, la réalisatrice, m'appelle. Le président Macron a dit de ne pas sortir, alors ça me fait du bien de parler à quelqu'un de différent de temps en temps.

Ibrahim, élève au Blanc-Mesnil

C’est très important que les élèves puissent avoir un contact avec une personne extérieure à l'école. En discutant chaque semaine avec Pauline, la réalisatrice, ils ont une autre oreille disponible. Ce lien humain est essentiel pendant cette période.

Guillaume Espern, professeur au Blanc-Mesnil 

S'émerveiller.

Réussir.

S'émanciper.

Se mettre dans la peau d’un journaliste, enquêter, préparer ses interviews, trouver des contacts. Les élèves de 5ème du collège Liberté de Drancy se sont prêté.es au jeu, même pendant le confinement. Avec l’aide de Jean-Sébastien Grond, journaliste, de Clément, chargé de projets à Citoyenneté Jeunesse et de leurs professeurs, les adolescent.es ont interviewé 8 personnalités sportives de la Seine-Saint-Denis. À distance, ils.elles ont travaillé en groupe pour préparer leurs questions. Des cessions d’entraînement avant les interviews étaient organisées avec leurs professeurs et le journaliste. Par caméra interposées, chacun leur tour, ils.elles ont posé leurs questions aux sportifs comme de vrais pros ! En coulisse, grâce à un document partagé, Jean-Sébastien Grond les aidaient à rebondir lorsqu’ils.elles se sentaient en difficulté. Aucun élève n’a fait faux bond lors des rendez-vous. Stressé.es au début, ils.elles ont finalement repris confiance en eux et semblaient très content.es des échanges avec les sportifs. Toutes les interviews sont à découvrir sur le site internet créé pour l’occasion.

Je pense que les élèves étaient très fiers d'eux lorsqu'ils faisaient les interviews en visio. Ils ont fait une forte impression auprès de leurs interlocuteurs et interlocutrices. Les sportifs étaient enchantés. Certains ont réussi, à travers ce projet, à s'émanciper et à s'autonomiser. Deux élèves ont même participé à tous les échanges. Elles se connectaient puis elles débriefaient avec tout le monde. Ça c'était vraiment génial.

Clément Tramoy, chargé de projets à Citoyenneté Jeunesse

J'ai dit aux élèves à plusieurs reprises à quel point j'étais bluffé par leur travail. On les a accompagné, je leur envoyais des questions supplémentaires, en direct, lors des interviews pour les aider à rebondir. Même s'ils étaient stressés, ils ont assuré.

Jean-Sébastien Grond, journaliste

Avant le confinement, les jeunes du collège Politzer de La Courneuve travaillaient sur la création d’une micro-fiction interrogeant les notions de territoire, d’identités et de langue. Peu de productions écrites ont été réalisées en classe. Il a donc été décidé de créer un poster poétique à partir de la matière récoltée. Mais fin Mars, à la demande de Laura, chargée de projet à Citoyenneté Jeunesse, Anna Mezey, autrice, a envoyé un premier état des lieux et s'est rendu compte qu’il y avait beaucoup plus de productions d’élèves qu’espéré. L’idée d’un livret voit alors le jour. Anna Mezey et l’enseignante sollicitent les élèves à poursuivre le travail d’écriture dès le début du mois d’avril. Fin mai, quelques éléments ont été récupérés. Anna Mezey a assemblé les travaux et retravaillé les textes pour créer un récit poétique. Il est à découvrir ci-après.

Pour découvrir le carnet, cliquez ici

Lorsqu'Anna a envoyé des consignes de travail, seuls 3 élèves sur 24 ont répondu. Elle a donc travaillé la réécriture à partir de tous les textes récoltés avant le confinement et les quelques extraits reçus ensuite.

Laura Ronca, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

On ne peut pas refaire l'histoire mais je regrette la fermeture des écoles. Ce projet à distance est, pour moi, un moyen de continuer à faire du lien avec les élèves. Je suis très motivée, ça me fait du bien de faire quelque chose de concret pendant cette période. C’est une sorte échappatoire.

Anna Mezey, autrice

Les 3ème du collège Jean-Jacques Rousseau du Pré-Saint-Gervais ont travaillé toute l’année sur des questions d’environnement. Accompagné par Adrien Naselli, journaliste, ils préparaient un podcast. Toutes les interviews ont été réalisées à distance, pendant le confinement. Mais le projet a mis du temps à se mettre en place car le journaliste est tombé malade. Une fois rétabli, le 20 avril, il a envoyé des consignes d’enregistrement à chaque groupe d’élèves. Leur professeure leur a transmis via l’ENT de l’établissement. Grâce aux multiples sollicitations de la part d’Adrien et de leur professeure, les élèves ont commencé à envoyer leurs interviews. Adrien a entamé la phase de montage le 22 juin. Un extrait des consignes et le premier podcast consacré aux vêtements sont à écouter ci-dessous.

L'enregistrement ci-dessus est le premier envoyé par Adrien Naselli, à la classe de 3eme du collège Jean-Jacques Rousseau du Pré-Saint-Gervais. Il leur annonce le déroulé du travail à venir.
On avait fait un certain nombre d’interviews avant le confinement, malheureusement, suite à une mauvaise manipulation de ma part, certains sons ne se sont pas enregistrés. On a donc tout réorganisé pendant le confinement. Il a fallu recontacter les personnes interviewées. Les élèves ont travaillé à distance.
Marion Seine, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

Il s'agit ici du premier podcast réalisé, enregistré et monté à distance, pendant le confinement avec l'aide d'Adrien Naselli.

C’était important de finir ce beau projet. Les élèves ont besoin qu’on les valorise. C’était essentiel de leur dire qu’on ne les abandonne pas et qu’on ira jusqu’au bout. Je tiens toujours à leur montrer qu’ils sont considérés et respectés dans leur personne. Je crois que c’est le cœur de notre métier.

Fouley Koita, professeure au Pré-Saint-Gervais

Ce projet photographique a été réalisé avec une classe d’UPE2A du collège Jacques Jorissen de Drancy, regroupant des élèves allophones, arrivés en France depuis peu. Tous les portraits ont été fait avant le confinement. Les élèves ont choisi la façon dont ils souhaitaient se représenter, ainsi que les couleurs et les motifs qui accompagnent le cadre. Mais pour créer un livre et conclure le projet à distance, leur professeure leur a demandé d’écrire un petit texte personnel qui les décrit. Certains ont fait le choix de faire des acrostiches, d’autres de rédiger quelques phrases sur leurs passions. Karen Assayag, photographe, a ensuite imaginé la mise en page et réalisé le livre de portraits ci-après.

Pendant le confinement, nos perceptions sont limitées, notre corporéité atrophiée. Communiquer, transmettre des connaissances est un véritable challenge. L'espace-projet permet de redonner un peu de corps, de la mobilité. Ce sont de toutes petites choses, mais elles peuvent faire la différence à un moment donné. C'est une véritable traversée !
Sabrina Benhamouche, responsable des partenariats à Citoyenneté Jeunesse
C’est trop frustrant de s’arrêter là ! Il faut que les élèves voient ce qu’ils ont fait et qu’ils soient fiers de leurs travaux pour leur donner envie de continuer à photographier. Ce livre est une façon de conclure notre travail ensemble.
Karen Assayag, photographe
Cliquez ici pour télécharger le carnet

Seulement 6 heures d’ateliers ont été réalisées sur ce projet avant le confinement. Même si peu de matières ont été récoltées, Franck Sanson, le réalisateur a essayé de faire un film à distance. Soutenu par Marion, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse et avec l’aide de Nesrine, professeure de français, des premières consignes ont été envoyées aux élèves : filmer avec son téléphone et parler de sa peur liée au confinement. Les élèves ont peu répondu à cet appel. Le sujet était-il trop intime ? Une nouvelle consigne leur a alors été envoyée : envoyer un poème sur le thème de la ville. Finalement, les élèves ont fait des poèmes sur la ville et le confinement. Ils se sont ensuite enregistrés chez eux en train de les lire. Franck Sanson a fait un montage des poèmes audios et des vidéos qu’il avait tourné pendant le confinement. En voici le résultat.

Ci-dessus, des échanges de mails entre les élèves qui ont répondu au travail demandé, leur professeur, l'artiste et le chargé de projet. On y voit la difficulté pour les adolescents de répondre à la consigne à distance mais aussi le désespoir parfois de leur enseignante quant à leur silence.

 

 

Découvrez les colères des élèves en cliquant sur la vidéo ci-dessus.

 

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Peindre pour s’échapper, parler de soi, découvrir les autres. Cette ULIS travaillait avec l’artiste-peintre Nathanaëlle Herberlin lorsque chacun a dû rentrer se confiner chez soi. Impossible de poursuivre le travail commencé lors des ateliers durant cette période. Mais la volonté de conclure cette aventure était très forte et partagée par toute l'équipe. Une rencontre est envisagée dès la réouverture des établissements. Face nombre très faible d’élèves de retour en classe début juin, l'enseignante s’est servie du projet pour faire revenir les adolescents en leur proposant une semaine de peinture. Pari relevé !

Début juin, dès la réouverture des établissements scolaires, j’assiste à un atelier. Je prends une grosse claque. Seuls 11 élèves sont présents sur 24. Je peux mesurer l'ampleur des dégâts liés au confinement. J'ai l'impression que les élèves sont des zombies. Ils semblent loin, tellement loin... Et en même temps, qu'est ce qu'ils sont contents de se voir !

Marion Seine, chargée de projets à Citoyenneté Jeunesse

La première semaine de retour en classe, on n'avait presque pas d'élèves, alors on a eu l'idée de reprendre le projet et de leur proposer une semaine de peinture. Ça a bien marché ! La semaine suivante, 7 élèves sur 12 sont revenus. Le projet est devenu un prétexte pour revenir à l’école. C’est une remise en route agréable, un temps de plaisir. Les élèves sont très calmes et à l'écoute. Cela a permis de recréer du lien entre eux et avec l'artiste.

Marie-Claude Ouahhabi, professeure coordonnatrice Ulis à Neuilly-sur-Marne

Ça m'a fait plaisir de découvrir l'histoire de mes camarades à travers leurs tableaux. Quand on peint, on est apaisé. Je ressens de la joie. Je vais mettre mon tableau sur un mur pour décorer chez moi.

Audric, élève à Neuilly-sur-Marne

La peinture m’a beaucoup manqué pendant le confinement. J'y pensais parfois. En revenant en classe, j'étais très heureux de peindre et de retrouver mes camarades.

Younès, élève à Neuilly-sur-Marne

Dès le début je pensais aux jeunes. Ce sont des ados pleins de vie, j'imagine la difficulté pour eux de vivre cet enfermement. Je ressens beaucoup d'empathie. Ils faisaient partie de mon quotidien et ça m'embête de ne plus les voir, de ne plus avoir de leurs nouvelles. J'espère les revoir vite.

Guillaume Reynard, dessinateur.

Nina Villaume, journaliste, coordinatrice du projet. 
Hortense Lasbleis et Alexandre Slyper à la réalisation.
Catherine Teiro et Sabrina Benhamouche.
Citoyenneté Jeunesse remercie les professeur.es, les artistes et les élèves pour le temps qu'ils ont accordé aux interviews et au partage de leur travail pour réaliser ce carnet de confinement.

Les projets racontés dans ce récit ont été conçus et mis en œuvre par Citoyenneté jeunesse dans le cadre des dispositifs

« La Culture et l’Art au collège », «Œuvres en résidence » et des « Résidences de journalistes en collège », initiés par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

Les œuvres présentées sont la propriété exclusive de Citoyenneté Jeunesse. Toute reproduction ou réutilisation est interdite.